Entretien avec Martin Deschamps

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Des gens comme les autres!



Propos recueillis par Claudette Lambert – 1er avril 2014

Musicien, chanteur et rocker, Martin Deschamps est une figure bien connue du grand public, tant par ses exploits sportifs, que par ses chansons. Malgré un handicap majeur qui ne lui laisse qu’une jambe et un demi-bras, il réussit avec persévérance à développer son talent musical, à s’initier à la batterie, à la guitare et à la basse. Son implication dans diverses causes sociales et humanitaires fait de lui l’une des figures les plus sympathiques du show-business. Depuis une douzaine d’années, il est le porte-parole officiel de la Semaine québécoise des personnes handicapées.

 

 « J’ai toujours ressenti une grande indifférence vis-à-vis de ma condition de personne handicapée, je n’ai pas de retenue, d’inhibition. Petit, je jouais déjà les vedettes, j’aimais attirer l’attention. Évidemment, on me remarquait pour ma différence, mais j’attirais les gens par mon attitude enjouée, positive, animée. C’est là qu’est la magie. Je me sens très privilégié de faire ce que je fais, les autres le comprennent vite, ils réalisent que mon handicap ne me handicape pas beaucoup, qu’il est une force, et si je ne peux pas faire du patin à glace, je m’en fous! »

 
Claudette Lambert : Martin Deschamps, ces propos recueillis sur le site Le Phoenix, un organisme qui travaille pour la reconnaissance des personnes handicapées, en disent long sur votre philosophie de vie et sur la perception que vous avez de votre handicap. Vous êtes le porte-parole de la Semaine québécoise des personnes handicapées. Quels objectifs poursuivez-vous en vous engageant dans cette cause?
 
Martin Deschamps : En fait, je m’aide moi-même! Mon implication n’est pas seulement l’affaire d’une semaine, c’est une cause qui me préoccupe toute l’année. Je tente de sensibiliser les gens à la « différence ». Quand je donne mes conférences, les gens me voient tel que je suis et doivent bien admettre que ce ne sont pas que des mots. Il est important de donner de l’espoir et de l’information sur tous les services qui existent pour aider les personnes à avoir une meilleure qualité de vie. Surtout quand elles sont lourdement handicapées et qu’elles ne peuvent pas s’organiser toutes seules. Je veux les aider à dédramatiser leur situation. Elles ont souvent des talents et des capacités incroyables, mais ne connaissent pas les ressources qui sont là pour elles. On les informe, on tente de les motiver, de leur donner le goût de vivre.
 
Vous êtes handicapé de naissance?
M. D. : Oui, c’est un des hasards de la vie… Il me manque un bras et une jambe, mais ce que j’ai en moins me pousse à en faire plus… Je me dépasse dans plusieurs activités, spécialement dans la musique. J’y ai trouvé une thérapie, une passion incroyable. Non seulement quand je fais de la musique, mais aussi quand je propage mes chansons. Elles sont entendues par des gens qui posent un regard d’admiration plutôt qu’un regard étrange parce que je suis différent. La différence entraîne souvent l’intimidation. Je dois avouer que j’ai été chanceux, car mon meilleur ami à l’école était le plus gros, le plus fort… C’était un musicien aussi, et c’est la musique qui nous a réunis. Malgré mon handicap, j’ai vécu une vie vraiment normale et elle est devenue extraordinaire quand je suis devenu musicien. Grâce à la musique, je réussis à toucher des gens. Je suis très près de la jeunesse québécoise et de sa réalité. Il y a quelque temps, le groupe anglophone Era 9 m’a approché pour traduire une chanson, et nous avons fait un vidéoclip, Oxygène, qui vise à faire tomber plusieurs tabous, entre autres, l’homophobie et l’intimidation. Nous avons eu 3000 visiteurs en 24 heures pour ce vidéoclip. C’est énorme! C’est là qu’on voit l’importance de souligner cette semaine sur l’intimidation, d’en parler pour faire tomber les tabous et de proposer des ressources comme Jeunesse j’écoute, Gay écoute et Mira. Les personnes handicapées se font souvent dire : « Non, non, tu ne seras pas capable. » au lieu de se faire dire : « Vas-y, t’es capable! ». Le pouvoir d’adaptation de l’humain est incroyable. Il faut juste un peu de volonté. Faut y croire, y travailler.
 
Nous vivons à une époque où l’image corporelle est extrêmement importante. Jeunesse, beauté, performance à tout prix! Votre image corporelle est différente et vous avez dû l’accepter dès votre plus jeune âge. Par quelles étapes êtes-vous passé pour vous accepter tel que vous êtes?
M. D. : Tout jeune, j’ai réalisé que c’était comme ça! Il fallait ensuite le faire accepter aux autres, surtout à l’école! J’ai donc décidé d’avoir une jambe artificielle, ce qui changeait pas mal mon look. Je l’ai portée environ 7 ou 8 ans, pour réaliser que je préférais marcher comme j’étais fait. Après tout, ce n’était pas si grave et j’étais beaucoup plus confortable en me promenant avec des béquilles. Je me suis donc servi de ce look original, mais en le stylisant. J’ai eu des béquilles chromées avec des sigles dessus. On dit que le look est très important et qu’on doit être beau. Je me dis que tout le monde a la capacité d’être beau, il suffit d’avoir un style. Je peux comprendre que la différence fasse peur, qu’elle crée des malaises, mais tout est une question d’audace et d’ouverture d’esprit.
 
On vit aussi dans le regard des autres. Le regard de vos parents a dû être déterminant.
M. D. : Mes parents ont toujours été des personnes encourageantes, aimantes. Je tente de leur rendre cet amour qu’ils m’ont donné et de faire la même chose avec ma fille, de lui transmettre cette joie de vivre que nous avons, nous les Deschamps.
 
Êtes-vous passé par une période de révolte? 
M. D. : Quelques-unes, oui, mais elles n’étaient pas vraiment liées à mon handicap. Mes parents me disent que ma crise d’adolescence a duré 24 heures… Peut-être parce que je n’ai jamais encore atteint l’adolescence! Encore ce matin, je suis avec mes vieux chums d’enfance à faire de la musique dans mon studio. 
 
Voyez-vous votre situation comme une épreuve ou comme un défi?
M. D. : Dans mon cas, ça été un beau défi que de faire du sport et d’apprendre des instruments de musique. J’ai dû avoir des adaptations. Mon père a toujours été très « patenteux ». Pour jouer de la batterie, il m’a fabriqué des courroies en cuir cousues à la main, un banc ergonomique pour jouer de la guitare, une béquille pour faire du ski alpin. Si bien que j’ai été médaillé d’argent au Québec en ski alpin au slalom à l’âge de16 ans.
 En ergothérapie, j’ai appris à fonctionner dans les petites choses de la vie. On m’a donné des trucs pour tenir des ustensiles, un verre d’eau... Tous ces trucs m’ont aidé à me débrouiller, à prendre confiance en moi. Ceux qui travaillent à faire des prothèses ou des orthèses pour aider les personnes handicapées ont bien raison d’être fiers de ce qu’ils font. C’est motivant pour eux car ils nous aident à vivre.
 
Vous ne fabriquez peut-être pas de prothèses, mais vous aidez à votre façon. Vous avez toutes les raisons d’être fier aussi.
M. D. : Je suis né fier, je n’ai aucun malaise de vivre, j’ai le bonheur chaque jour. J’ai ma femme, ma fille, une famille incroyable, un band, une Harley Davidson… Je ne m’apitoie pas sur mon sort.
 
Vous ne donnez pas l’image d’une victime, mais plutôt celle d’une personne qui a une urgence de vivre.
M. D. : Pour s’en sortir, il faut arrêter de se victimiser. Je pense souvent à Stacy, la fille d’une amie, qui se voyait vivre enchaînée à sa chaise roulante. Malgré les avis des médecins, elle n’a pas cru en ce diagnostic et elle a rallumé son moteur par la force de son cerveau et de son cœur… et aussi avec l’aide de son chien Mira.
 
Quand vous donnez des conférences, est-ce que le fait d’être une vedette vous rend les choses plus faciles?
M. D. : Les galas attirent un public, et les personnes connues attirent l’attention. Oui, on est sur la sellette, l’éclairage est sur nous, mais il ne faut pas en profiter pour se mettre en valeur, pour faire la promotion de nos musiques et de nos chansons. Quand on est connu, on a un service public à rendre, il faut en être conscient. Moi c’est mon mandat dans la vie.
 
J’imagine que sur la rue ou dans les lieux publics on vous arrête souvent! Qu’est-ce que vous retirez de cet engagement social?
M. D. : Faire mon épicerie, c’est parfois assez long, mais j’aime ça. La ligne est mince entre se dire que ça va bien ou que ça va mal. C’est tellement personnel à chacun! Ça dépend de la façon dont on voit les choses. Comment garder notre espoir, notre joie de vivre? Je dirais que c’est une décision qu’on prend chaque jour. Y a rien de mieux que de se regarder dans le miroir et de se dire : «Oh! Il va y avoir des obstacles aujourd’hui! Des gros défis à relever! On va le faire parce qu’on est fier!» Et puis en regardant autour de nous, on réalise qu’il y a des gens qui ont de gros problèmes. Ils peuvent nous inspirer. Handicapé ou pas, t’as droit au bonheur…
 
Les gens croient que je suis malheureux à cause de mon handicap, ce n’est pas le cas. J’ai un sens de l’écoute. Oui, les gens m’arrêtent sur la rue pour me parler de choses difficiles qui touchent leur famille : un cancer, un enfant lourdement handicapé… Je sens que les gens ont envie de se livrer à moi. C’est important quand on est connu d’avoir cette ouverture, cette écoute. Après mes spectacles, il m’arrive régulièrement de recevoir des demandes de parents qui veulent me rencontrer, ou qui veulent me présenter à leurs jeunes qui sont handicapés et qui ont des problèmes. Moi je n’ai pas de problèmes à assumer ma condition. Ils viennent assister au spectacle et ça les inspire. C’est ma nourriture, ma récompense.
 
Vous donnez également des conférences dans les écoles secondaires. Vous touchez là une clientèle particulièrement vulnérable à l’intimidation.
M. D. : Oui, je fais souvent des conférences dans les écoles secondaires et je constate qu’il y a beaucoup d’intimidation. Lorsque ces jeunes qui pensent négativement viennent sur mon site, ils découvrent que c’est possible d’être heureux, d’avoir des projets, des rêves, des passions. Je leur dis que l’union fait la force. Quand j’étais jeune, on s’est réunis, on était une « gang de musique », on a fait un band et on était très populaires. On était loin de l’intimidation. On avait une fierté d’être musiciens. C’est le moyen que j’ai pris pour me faire respecter, admirer…
 
Les personnes handicapées sont encore plus vulnérables que les autres face à l’intimidation.
M. D. : Oui, certains en perdent la vie… Il faut cependant apprendre à dédramatiser et se convaincre qu’on a tous des forces. J’encourage les jeunes à faire des « petites gangs » qui ont les mêmes intérêts. J’aurais pu être une victime, mais j’avais l’audace nécessaire pour ne pas me laisser intimider. Il faut avoir une attitude positive face à la vie, que l’on soit handicapé ou pas.
 
Diriez-vous que votre handicap a été une sorte de bienfait, qu’il vous a fait grandir?
M. D. : Mon handicap ne m’a jamais empêché de faire plein de choses. J’ai été encadré par des bons parents qui me permettaient de participer à tous les sports : rafting, ski alpin, etc. Ils m’amenaient partout avec eux ce qui m’a permis de m’épanouir. Tout le monde a sa force et peut créer sa chance. C’est personnel à chacun. Il faut se parler à soi-même.
 
C’est quand même étonnant, avec une condition aussi difficile que la vôtre, que vous ayez réussi à vous illustrer dans les sports?
M. D. : Le sport est un bon médium. Quand j’ai participé à la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques 2010 à Vancouver, je suis entré dans le stade sur mon Harley Davidson devant 60 000 personnes. J’ai rencontré des athlètes aussi motivés que moi à participer et à gagner des médailles. C’était enivrant! Les gens qui se dépassent dans les sports sont très inspirants.
 
Vous vous définissez aussi comme un motivateur.
M. D. : Développer une attitude positive, croire en soi est indispensable pour ne pas devenir l’objet d’intimidation. Chez moi, cette confiance dans ma valeur est innée. J’ai toujours su que j’étais capable de choses spéciales. Vers l’âge de trois ou quatre ans, j’ai commencé à dessiner des personnages, comme un artiste! J’avais un certain talent, si bien que je suis devenu graphiste dessinateur chez Bell Canada pendant 10 ans avant de me lancer dans la musique. Cette aptitude me permettait de m’intégrer plus facilement. Dès que quelqu’un doutait de mes capacités, je dessinais un Schtroumpf et hop! Je l’impressionnais. Tout jeune, j’avais de l’audace, j’étais espiègle. Ça m’a servi d’être extraverti. Même quand on est différent, on peut rire de sa situation; tout peut se prêter à l’humour. Il m’arrivait de dire en riant : « Ça m’a coûté cher… ça m’a coûté un bras et une jambe! » Ou bien : « Je suis toujours sur une patte! »
 
J’ai la grande chance en tant que porte-parole de la Semaine québécoise des personnes handicapées de voyager dans tout le Québec, de rencontrer des gens et aussi des bénévoles qui s’impliquent avec cœur. Il faut les remercier et souligner leurs efforts lors des galas, car leur travail est la recette du bonheur et de la réussite pour les personnes handicapées.
 
Qu’est-ce que vous auriez à dire aux parents, aux éducateurs, aux intervenants pour les aider à développer une attitude adéquate envers les personnes handicapées?
M. D. : Je leur dirais de s’ouvrir l’esprit à la différence, de fournir les outils nécessaires pour que les personnes handicapées puissent vivre une vie à part entière, qu’elles puissent travailler et s’intégrer à la société. Elles ont d’autres aptitudes. Pour leur donner la chance de s’épanouir, il faut garder l’esprit ouvert. Autant les personnes handicapées doivent s’adapter à leur situation, autant les autres doivent le faire aussi.
 
Moi, ma thérapie, ma médecine aura toujours été la musique. J’encourage les gens à trouver leur champ de création. Ils verront à quel point c’est précieux quand ils auront des souffrances intérieures ou des obstacles à surmonter.
 



Certains propos cités dans cet article sont tirés d’un entretien accordé par Martin Deschamps sur les ondes de Radio Ville-Marie à l’occasion de la promotion de la Semaine québécoise des personnes handicapées.
 




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